Une nouvelle pratique d'élevage conçue par les éleveurs

Vache nourrice : élever les veaux autrement

Une vache nourrice est une "mère adoptive" en lactation à qui on confie entre 2 et 4 veaux, qu'elle nourrit et élève pendant plusieurs mois. C'est une innovation mise en place par les éleveurs et qui a été explorée par les scientifiques INRAE (1) dans le cadre du métaprogramme SANBA. Par des entretiens qualitatifs, ils ont pu constater une diversité de mise en pratique et une satisfaction des éleveurs.

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© Mathilde Belluz, INRAE

La critique sociale des systèmes d’élevage intensif a mis en visibilité des situations de souffrance des animaux et la nécessité de prendre en compte leur bien-être. Certains acteurs dénoncent la séparation mère-jeune. Celle-ci est aussi questionnée au sein du mouvement de l’agriculture biologique, dans une recherche de davantage de naturalité.
Par ailleurs, le bien-être animal, au cœur de nouvelles politiques publiques, devient un sujet où l’avis des experts pourrait occulter les pratiques et les savoirs d’éleveurs quotidiennement au contact des animaux.

Dans ce contexte, les scientifiques ont étudié des pratiques innovantes et endogènes des éleveurs qui laissent les veaux téter leur mère ou les font adopter par des vaches désignées comme nourrices. Les chercheurs rendent compte de la diversité de ces pratiques et de la manière dont elles transforment le rapport à l’animal et le travail.                                                                   

Un univers riche de relations multiples et changeantes entre hommes et animaux, et entre animaux

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Les chercheurs ont mené vingt entretiens qualitatifs réalisés auprès d’éleveurs laitiers élevant des veaux sous vache adulte (nourrices ou mères), majoritairement en Agriculture Biologique et situés dans l’Est de la France : Jura, Haute-Saône, Vosges, Alsace. Le guide d’entretien comprenait une partie descriptive de l’élevage de veaux sous leur mère ou avec une nourrice. Puis les visites portaient aussi sur les observations faites par les éleveurs sur les relations entre veaux et mère/nourrice ; sur la perception par l’éleveur des besoins de ses animaux, des changements de comportements, des apprentissages des animaux ; enfin quelques caractéristiques des fermes et du profil de l’éleveur étaient recensées. Le dispositif prévoyait qu’une grande partie de l’entretien ait lieu face aux animaux pour faciliter l’expression.

La mise en œuvre de cette pratique est très variable, une forme de « sur-mesure » face aux caractéristiques de la ferme et aux événements contingents survenant dans la ferme. Par exemple : une vache à mammite (dont le lait ne peut pas rentrer dans la chaîne de transformation) peut devenir nourrice, ou la simplification des soins aux veaux suite au départ d’un membre du collectif de travail. L’élevage de veaux sous mère et nourrice est expérimenté par les éleveurs pour les mâles et/ou les femelles, sur un temps plus ou moins long de trois (3) semaines à quelques mois, six (6) par exemple pour des veaux sous nourrices. Les éleveurs adaptent la pratique en fonction de la santé des vaches et des veaux.

Ces entretiens auprès d’éleveur.se.s ont montré que les liens se nouent ou se distendent tout au long de la vie des bovins. Les éleveurs ont un rôle actif dans la constitution des liens ‘avec’ et ‘entre’ les animaux. Ainsi, ils peuvent jouer le rôle de mère puis le donner à une vache nourrice qui s’attache au veau confié.

Des éleveurs sensibles au bien-être des animaux

Un autre résultat concerne l’attention subtile que les éleveurs portent à leurs animaux et les satisfactions qu’ils en retirent dans l’exercice de leur métier. L’éleveur intervient moins physiquement pour les tétées mais garde néanmoins une position active en favorisant les adoptions ou les liens veau-mère. Il développe de nouvelles formes de relations avec ses animaux, faites d’une attention quotidienne au comportement des animaux. Avoir des veaux en bonne santé et réussir à établir de nouveaux liens entre animaux procurent à ces éleveurs du plaisir au travail.
                                                                                      

En conclusion, l’exemple des veaux sous la mère/nourrice vient interroger deux registres de transformation des modes d’élevage dans une perspective de bien-être animal : d’une part, un contexte d’injonctions sociétales et d’une normalisation accompagnée de contrôles ; d’autre part, l’innovation en ferme et l’expérimentation dans le travail ordinaire des éleveurs de la plasticité des relations ‘entre’ et ‘aux’ animaux. Les enquêtes montrent que les éleveurs vivent dans le travail le bien-être ‘de’ et ‘avec’ leurs animaux. S'ils ne s’en réclament pas, ils transforment néanmoins leurs pratiques pour aller vers plus de bien-être pour eux et pour leurs animaux.

(1) Ces résultats ont été obtenus dans le cadre du projet SEBEA

Projet SEBEA - Savoirs d’Eleveurs, Bien-Etre Animal et santé
Durée : deux ans (2020-2022)
Expertises INRAE réunies : sociologie, zootechnie, géographie sociale, éthologie, expertise en bien-être animal et dans la relation homme/animal, épidémiologie, parasitologie
Partenaires extérieurs : Institut De l’ELEvage (IDELE) ; réseau « Bio en Grand Est »
Contacts - coordinatrices : Florence Hellec et Sandrine Petit

Voir la description complète du projet SEBEA
Voir une synthèse des résultats du projet SEBEA

Référence

  • Petit S., Hellec F. (2023). « Materner les veaux. Pratiques et innovations d’éleveurs à l’épreuve de la normalisation du bien-être animal », In N. Joly, L. Dupré, et S. Petit. D’une agriculture l’autre. Conflictualités, expérimentations, transmissions. Dijon, Versailles, Educagri-Quae, pp 33-44

 

Voir aussi

Pratique présentée par les scientifiques de la ferme expérimentale INRAE ASTER